Le régime des intermittents du spectacle : ni déficit, ni surcoût.

Publié le par Les Rassemblé(e)s

de Mathieu Grégoire, Maître de conférences en sociologie à l’Université de Picardie Jules Verne

Les intermittents du spectacle bénéficient-ils d’un régime « privilégié » d’indemnisation du chômage ?

On connaît la rhétorique – répétée ad nauseam – des contempteurs de ce régime : alors qu’ils ne représentent que 3% des allocataires, les intermittents seraient responsables d’un quart du déficit de l’assurance chômage. Le hasard fait bien (ou mal) les choses. Car le « déficit » d’un milliard d’euros attribué aux intermittents n’a à peu près rien à voir avec le déficit général de l’Unedic (prévu à 4 milliards d’euros en 2014) qui s’explique uniquement par l’augmentation du chômage ces dernières années. Et faire le rapport de l’un sur l’autre en disant que les intermittents sont « responsables » d’un quart du déficit est un raccourci absurde, spécieux et démagogique. En réalité, les intermittents constituent 3,5% des allocataires et représentent 3,4% des dépenses... Et il se trouve qu’en 2014 le déficit de l’UNEDIC s’élèvera grosso modo à quatre fois ce que coûtent ces 3,5% des allocataires. Il suffit pour mesurer l’absurdité de cet « argument » de rappeler que les intermittents représenteraient non pas un quart mais 100% ou 200% du déficit si le chômage baissait et si le déficit de l’Unedic régressait par là même à 1 milliard ou 500 millions d’euros. Inversement, les intermittents seraient de moins en moins « responsables » du déficit si celui-ci augmentait encore davantage !

Tout ceci est absurde. Mais c’est aussi spécieux car un quart du déficit semble énorme. Mais ce n’est pas le cas : par exemple, les salariés en CDD pourraient, en suivant le même raisonnement, être montrés du doigt comme « responsables » en 2010 d’environ 200% du déficit. Au final, ce procédé est purement rhétorique : qui ne serait scandalisé si une population aussi restreinte que celle des 100 000 intermittents pesait pour un quart dans le budget de l'UNEDIC ? Pourrait-on y voir autre chose que des « privilégiés » ? Malheureusement, il semble assez clair que ce procédé vise uniquement à susciter une telle réaction en désignant un bouc s et leurs allocations ne s’équivalent pas. Comme dans toute assurance – a fortiori quand celle-ci est une assurance sociale – certains n’expérimentent pas le risque pour lequel ils sont couverts et cotisent davantage qu’ils ne perçoivent d’allocations. C’est le cas de tous les salariés qui ne perdent pas leur emploi. À l’équilibre des comptes de l’assurance, ceux qui éprouvent ce risque perçoivent plus d’allocations qu’ils ne cotisent. Les intermittents étant de ceux-là, on pourra, ad vitam aeternam, les montrer du doigt comme « déficitaires ». À moins de revenir sur le principe même d’une assurance solidarisant l’ensemble du salariat à l’échelle interprofessionnelle, il est en effet difficile d’imaginer qu’il puisse en être autrement.

Le régime des intermittents représente-t-il malgré tout un « surcoût » par rapport au régime général ?

C’est l’idée qui a émergé, à la suite du rapport du député Jean-Patrick Gille d’avril dernier, dans le débat sur le régime des intermittents du spectacle. Ce « surcoût » – chiffré à 320 millions d’euros – a été calculé pour montrer que la suppression des annexes 8 et 10 n’aboutirait pas à un milliard d’économies, mais à seulement 320 millions dans la mesure où ces allocataires se retrouveraient alors pour une grande partie au régime général. Depuis lors, le débat est focalisé sur cette somme de 320 millions de « surcoût » : certains en font le « prix de la culture » d’ailleurs pas si élevé, d’autres (comme les auteurs d’un rapport sénatorial aux recommandations très radicales paru en décembre) en font un objectif d’économies à atteindre. Le Medef, dans son projet de réforme de l’assurance chômage, ne s’y est d’ailleurs pas trompé en demandant à l’État de financer ce « surcoût » au titre de sa politique culturelle.

Mais ce « surcoût » existe-t-il vraiment ? On peut en douter. Il n’est que l’incarnation comptable de l’idée préconçue selon laquelle les intermittents seraient des privilégiés. Il ne s’agit ni plus ni moins que de quantifier ce « privilège » en se demandant à combien le « coût » des 100 000 intermittents s’élèverait si on les mettait au régime général. Ce faisant, on confond adaptation du dispositif à l’intermittence de l’emploi et privilège. Pour s’en convaincre, il suffit de faire le raisonnement symétrique : que coûteraient 100 000 chômeurs du régime général si on les basculait dans le régime « privilégié » des annexes 8 et 10 ? 320 millions de plus ? Certainement pas ! Les plus précaires d’entre eux ne seraient plus du tout indemnisés dans la mesure où les règles d’éligibilité sont beaucoup plus strictes chez les intermittents (507 heures en 10 ou 10,5 mois selon qu’ils sont techniciens ou artistes) que dans le régime général (610 heures en 28 mois soit 20% d’heures en plus à effectuer dans une période de référence de 180% plus longue). À l’autre bout de l’échelle, les allocataires sans activité issus d’un CDI ou d’un CDD de plus de 8 mois seraient exclus au bout de huit mois (243 indemnités journalières) alors qu’ils peuvent bénéficier, dans le régime général, d’indemnités pendant deux ans. Et on sait qu’à 8 mois, plus de la moitié des chômeurs n’ont pas encore retrouvé d’emploi. Au final, ces chômeurs seraient donc bien moins lotis dans le régime des intermittents que dans le régime général. Pour une simple raison : le régime général est plus adapté à l’emploi stable, le régime des intermittents à l’emploi intermittent. Mais l’un n’est pas plus coûteux ou privilégié que l’autre. Et les 320 millions ne correspondent à rien d’autre qu’à la menace qu’on fait peser sur les intermittents lorsqu’on suggère de supprimer un régime adapté à leur forme d’emploi.

Au final, le régime a incontestablement un coût dont il est légitime de débattre. Mais ce coût ne correspond ni à un déficit, ni à un privilège ou à un surcoût par rapport au régime général.

Mathieu Grégoire,
Maître de conférences en sociologie à l’Université de Picardie Jules Verne.

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